Charles Perrault - Le Genévrier

Illustrateur : Sara

Dans la collection Ivoire où un artiste est invité à revisiter un texte patrimonial, voici le texte intégral du Conte de Perrault avec sa moralité qui met en garde les jeunes femmes contre la curiosité, petit plaisir et grosse punition. Sans omettre la seconde « moralité » où Perrault constate que l’homme n’est plus ce qu’il était, cet « époux si terrible », à présent, « près de sa femme, on le voit filer doux »…? Sans rire…
Mais Sara a dû sourire largement pour concocter ses collages qui donnent une version très actuelle du récit sans craindre les anachronismes. L’arrivée tant attendue des frères qui vont sauver la fille de la mort annoncée les montre chevauchant des Harley Davidson !… mais avec l’épée au côté, puisqu’ils vont devoir la passer au travers de Barbe Bleue ! Et à la fin, la femme se remet de ses émotions dans la chaise longue de Le Corbusier. Clins d’oeil réjouissants. Mais Sara ne se contente pas de cette actualisation, le livre ouvre à des questions. L’horrible conte devient une histoire de couple moderne. Désassorti, le couple de la couverture installe d’emblée une interrogation : en robe courte, la fille est un peu lourde, sans grâce, et a l’air gauche. Lui, costume jaune en contraste avec la barbe bleue, est plus distingué sinon plus voyant ! Le coupé de luxe, le mobilier contemporain, voilà campé un milieu social, séduisant mais trompeur et mortifère. Tout l’album baigne dans le rouge sang, y compris la robe et les cheveux de la femme. On remarque que si on connait le nom de Soeur Anne, l’héroïne, elle, n’est jamais nommée, c’est la « cadette », « la femme », « la pauvre femme »… Unanimement, les adultes jugent ce conte épouvantable, curieusement, bien des enfants le redemandent – pourquoi, ai-je demandé ? Parce qu’il fait du bien quand on a très peur, a-t-on répondu. Il faut dire que le loup, de nos jours, ça marche moins bien…

Claudine Charamnac-Stupar