Giraud - Thierry Magnier


Un roman ancré dans deux époques : la Grande Guerre et aujourd’hui. Un va-et-vient entre le vécu de Botillon et celui de ses arrière-arrière-petits-enfants. Le lien se tisse jusqu’à ce que les deux générations se rejoignent.

Botillon, narrateur, nous parle de l’absurdité de la guerre, de l’horreur, de la peur au ventre. Au front, il apprend qu’il va être père. Il erre, il souffre, il tue. Il ne comprend pas mais il sait qu’il est devenu un monstre. Une médaille dorée, aux initiales entrelacées – N pour Noël et E pour Eglantine – cousue sur son uniforme des mains même de sa fiancée, est « non réglementaire », comme lui répètent sans arrêt les gradés. Mais « cette médaille me porte chance et rien au monde elle ne quittera mon uniforme… Elle me rappelle à chaque seconde que je survivrai ». Oui, Botillon survivra. Il reviendra de la guerre… après avoir sauté sur une mine. Opéré 17 fois. Il se souvient de tout mais il ne dira jamais son nom. Il n’est plus lui, il n’est plus personne : brûlé sur tout le côté droit, un œil perdu, une partie de la mâchoire inférieure emportée par l’éclat de la mine…

Botillon est père. Son enfant a 1 an environ. Mais « c’est trop tard ». Botillon préfère que les autres le croient disparu, mort. Il ne veut pas prendre sa fille dans ses bras : « avoir un père disparu vaut mieux que de se savoir l’enfant d’un monstre ». Il va la regarder grandir, vieillir, sans jamais se faire connaître. Sentiment d’avoir tout perdu : des amis, des années, la santé, la vie. Une vie brisée. Cassée, comme la gueule.

Inquiétude aussi parce que le monde a changé en son absence. « Il y a de la vie comme je n’en ai pas vu depuis si longtemps. C’est la paix », constate Botillon. La période vécue aux côtés de ses frères d’armes, tous unis dans la même situation extrême, se révèle être finalement une sorte de cohésion à laquelle se raccrocher désespérément. Ils ont connu tous ensemble des moments de partage, partage de souffrances. Le retour à la vie civile rompt avec ce quotidien de soldat devenu familier. Lui aussi a changé. Il lui faut quitter un état de sauvagerie pour redevenir humain : le quotidien lui semble- t-il alors inconcevable ? Il est vivant. Il est un survivant. Mais où est sa place ? Bien plus tard, dans un souterrain, ses ossements seront découverts par ses descendants : « on a retrouvé le soldat Botillon ». MPD