Lloyd Natalie - Seuil jeunesse


Comment parler de ce livre ?! Les mots enfantins manuscrits sur la couverture, l’effet -joli- de ballon blanc dans un ciel bleu, la quatrième qui parle de secret, de pouvoir magique et de mots bleus, tout cela crée un horizon de roman au mieux poétique et charmant, au pire,… un peu neuneu. Non seulement la lecture déjoue ces attentes, lecture constamment réjouissante, s’arrêtant pour mieux profiter de cet étonnement, soulignant des passages, et mieux, quand il est terminé, ce livre vous laisse la sensation d’une saveur inédite et persistante que vous avez envie de partager. Mais comment en parler, car sa saveur est loin de se résumer à l’histoire ?
Le roman est écrit au je, celui de Félicie Juniper Pickle : « et je suis de Nulle-Part-en-Particulier », parce que Félicie est constamment déracinée par une mère instable qui repart sans cesse au volant de son camion trainant avec elle ses deux filles, l’adolescente Félicie et la petite Frannie Jo. Momentanément posées à Midnight Gulch, ville isolée entre montagne et forêt, chez une tante accueillante, vont-elles enfin s’arrêter et s’intégrer comme le voudrait Félicie ? Il y a un passé particulier à ce village, un secret, le croisement de nombre d’histoires individuelles et de l’histoire collective. Loin de la mièvrerie et des bons sentiments, c’est un espoir dans le collectif et la possibilité de vivre entre hommes de bonne volonté qui irrigue ce roman, par ailleurs coloré d’une atmosphère Middle West américain, Stetson et banjo, un côté folk bon enfant.
Il y a des motifs étonnants, les «fardeaux du placard» que Florentine porte toujours dans son sac à dos, l’usine à glaces dont chaque parfum est concocté par un habitant avec ses souvenirs et sensations, un garçon en fauteuil roulant occupé à sa tâche de bienfaiteur pour tous. Mais surtout, il fallait oser cette héroïne qui peut à peine parler tant elle bafouille mais écrit, invente des mots «factabuleux» et surtout voit des mots écrits partout, dans l’air, dans la classe, autour des gens, s’ils parlent et encore plus s’ils se taisent, des mots comme des atomes de vérité, des éclairs de connaissance, des énigmes. Sous cette fantaisie, un personnage attachant et un livre «étourdiffant» qui fait du bien.

Claudine Charamnac Stupar