A paraître: « Défense et illustration de la littérature jeunesse »- NVL 226 – Décembre 2020

A paraître: « Défense et illustration de la littérature jeunesse »- NVL 226 – Décembre 2020

Clôturant les thématiques littéraires de  l’année 2020 par une allusion à La Pléiade, Défense et Illustration de la littérature jeunesse est un N° spécial de 108 pages qui s’attaque à la question de la reconnaissance  de la LEJ  qui malgré l’apparent triomphe économique ou  la légitimation universitaire, pâtit du manque de considération accordé à une sous-littérature. Les voix diverses convergent vers deux interrogations majeures et faussement simples : en quoi la littérature jeunesse est -elle littéraire ?  qu’est-ce que le lecteur de cette littérature dite jeunesse ?

Imagiers à gogo

Martin Jarrie, Imagier du vivant

Seuil jeunesse, oct 2020, 15,50€  – 9791023513394. Pour tous

Pour tous, ce grand imagier est d’abord un beau livre, livre d’art,  à contempler les peintures de Martin Jarrie fascinantes par leur hyperréalisme, leur perfection mais aussi une patte /et une pâte artisanales  qui donnent  à sentir le velouté de l’abricot ou l’épaisseur de la laine du mouton. Animaux ou  végétaux représentés sont ceux de la ferme, de l’enfance  dit Jarrie. La double page joue sur la double vue externe/interne, la noix et son intérieur, sur des liens métonymiques (lapin/carotte, tulipe/oignon), ou parfois de subtiles comparaisons de couleur par exemple l’écureuil et le potimarron. Ce côté ludique plaira aux plus jeunes quand les grands ne resteront pas insensibles à une forme de nostalgie.

 

Elisabeth Brami, Chloé du Colombier- Mimimagier

Casterman, 2020, 13,90€, 9782203208322 Pour les bébés

Très intéressant, ce mini-imagier ! très mimi, aussi par ses dessins simples et vraiment charmants mais le mimi du titre fait référence à des mimiques, soit une gestuelle élémentaire que le bébé va associer à un mot ou son comme allo, beurk, coucou ou bravo, mots que prononcera l’adulte. Remarquable cette entrée dans le langage et la communication qui s’appuie aussi sur un premier usage du livre !

 

Marian Ruiz Johnson- Boum ! le grand imagier des onomatopées.

Rue du monde, 20209782355046292

Bien différent, cet imagier de Rue du Monde qui prétend imager des bruits !  Images en situation, complexes, d’une vie de famille dans lesquels les bruits sont associés à une activité : tant le ronron du chat que le pschitt de maman qui se parfume ! Il y ainsi une suite qui rend le livre agréable à observer. Le plus intéressant est que cet album  en fait est un apprentissage  des codes et conventions de la représentation (tic tac, boum,  slurp), ce qu’on trouvera à lire ensuite en BD ou tout autre littérature bien française  où  les chiens font waf waf, les pompiers pin pon et les téléphones bla bla bla.

Claudine Charamnac Stupar

 

Attention au Grizzli virus ! – Un album drôle pour 5 ans et plus.

Attention au Grizzli virus ! – Un album drôle pour 5 ans et plus.

Emilie Chazerand, Amandine Piu- Grizzli virus

L’élan vert, 2019, 12,70€  -9782844555205. Album 5ans et plus

Déjà, elle se nomme Léonie Bisette…et elle est minuscule avec une bouille rousse sous son bonnet à gros pompon…et elle éternue tout le temps. Bon, les allergies, et les rhumes, c’est banal, mais Léonie éternue…des grizzlis ! « Elle a déjà éternué au moins trois zoos ! » Voyez le ton.  Mais moins drôle, la voilà employée, que dis-je, esclave d’un abominable mercantile qui l’enrhume méthodiquement pour qu’elle produise à la chaine des grizzlis qu’il vend fort cher, ayant créé un engouement pour les grizzlis domestiques. Il se trouve toujours quelqu’un pour exploiter les misères ! A force de bains de glaçons et autres maltraitances, Léonie « s’auto-immunise » enfin ! plus de grizzlis et fin de Jean Félix Larnac.  Epilogue: Léonie, virée, pleure… des crocodiles, mais c’est une autre histoire.

Antérieur au « pangolin virus covid 19 », voilà donc l’histoire d’un grizzli virus 19 : ap/paru en effet en janvier 19, il avait échappé à nos radars, à notre attention et nous reconnaissons la faute dans ce retard à avertir nos lecteurs, espérons qu’il ne sera pas trop tard…pour lire cet album aux dessins très amusants et qui immunise contre la cupidité et les arnaqueurs en tous genres. Jamais trop tôt.

Claudine Charamnac Stupar

 

A paraître: « Des usages des imagiers »- NVL 225 – Septembre 2020

A paraître: « Des usages des imagiers »- NVL 225 – Septembre 2020

Les imagiers autrefois destinés aux tout-petits pour leur apprendre le nom des choses, se sont vite et largement affranchis des limites d’âge comme d’usage. Au point que les médiateurs adultes ne savent pas toujours bien utiliser ces livres d’images, images artistiques ou qui semblent en roue libre et  dont nous interrogeons le sens parfois complexe. Ce sont ces usages des imagiers que nous essayons de définir et le parcours a beau être historique, on verra que tous les bons imagiers sont, selon le titre de Hervé Tullet , des «  imaginiers ».

Merci tout particulier au comité de lecture qui a fait preuve d’une grande assiduité dans la rédaction de notes de lecture pendant la période estivale.

A propos de l’album : « Je t’aimerai toujours », éd. des éléphants,2020.

A propos de l’album : « Je t’aimerai toujours », éd. des éléphants,2020.

Robert Munsch/ ill, Camille Jourdy /trad. angl  Ilona Meyer-  Je t’aimerai toujours
Les éditions des éléphants, 2020, 13,50  – ISBN : 978-2-37273-071-6

Je t’aimerai toujours est un ouvrage qui évoque le cycle de la vie humaine. Nous y suivons en parallèle l’évolution de la vie – de la naissance à l’âge adulte – d’un protagoniste ainsi que l’involution d’une existence – de l’âge adulte à la mort – de sa mère. A la croisée de ces deux destins, il y a l’amour : l’amour inconditionnel d’une mère envers son enfant d’une part et l’amour d’un fils envers sa mère d’autre part. Et pourtant, l’ouvrage montre également avec beaucoup d’authenticité que ces deux mouvements interreliés ne vont pas de soi et pointe cette tension, résolument humaine, qui veut que l’avènement d’une personnalité doive nécessairement représenter une subversion, des déceptions du côté des adultes… interrogeant ainsi la parentalité dans toute sa complexité.

Ce livre s’adresse aux enfants bien-sûr mais aussi à leurs parents qui pourront tirer grandement profit de la fiction. Pour les plus petits, Robert Munsch et Camille Jourdy soulignent l’importance de l’expression du désir individuel pour grandir, quitte à ce que ce dernier ne soit pas en adéquation avec les idéaux parentaux. S’individualiser, c’est expérimenter les limites de soi, ce n’est pas respecter aveuglément celles des autres. Paradoxalement, les limites imposées par les parents sécurisent l’enfant, l’aident à comprendre sa culture, les mœurs qui l’entourent et, si elles viennent à manquer, de lourdes conséquences peuvent apparaître. C’est également cette tension qui devrait permettre aux adultes de prendre conscience, d’une part du caractère nécessairement imparfait de leur parentalité et, d’autre part, que la culpabilité n’est pas bonne conseillère, quand bien même les médias regorgent de figures parentales physiquement et moralement parfaites.

Finalement, grandir et faire sa place, c’est à la fois s’inscrire dans un collectif mais également faire advenir un individu unique et, comme le montre cette œuvre, c’est l’amour qui permet que les deux cohabitent.

Entre la nature et la culture, l’Amour 

La première double-page de l’œuvre montre une jeune maman tenant son bébé dans les bras. La tendresse et la sérénité qui émanent de ce moment sont accentuées par l’ordre, les couleurs et la luminosité qui inondent la pièce de la maison. Quelques livres jonchent le sol et l’on peut imaginer que cette mère soit déjà en pleine incertitude concernant son rôle et qu’elle tente de trouver des réponses dans les théories éducatives piochées dans une multitude d’ouvrages scientifiques. Et pour cause : être parent quand on s’est éloigné de son « animalité », c’est s’installer dans un doute immense qui peut mener certains tuteurs à de profonds sentiments d’infériorité. En effet, aucun mode d’emploi parfaitement fiable ne permet de suivre un protocole parental. Il existe donc une tension, déjà palpable, entre la nature et la culture : pour le moment, les livres représentent la culture tandis que la nature est « emprisonnée » dans les tableaux accrochés au mur, les figurines d’animaux sur les étagères ou encore sous forme de peluche dans le lit à barreaux du bébé.

Enfin, côtoyant ces deux dimensions – la nature « emprisonnée » et la culture scientifique et théorique – il y a cette ritournelle qui reviendra sans arrêt dans le livre :

Aussi longtemps que je vivrai,
Toujours je t’aimerai.
Jusqu’à la fin des temps,
Tu seras mon enfant.

Cette comptine, comme une promesse faite à l’amour, est à la croisée entre la culture (chanter est un acte humain très important) et la nature (cet instinct très animal qui fait que chaque être vivant ferait tout pour ses enfants).

Rasséréné et serein, le lecteur tourne alors les pages suivantes et comprend tout de suite que les auteurs n’ont nullement l’intention d’enjoliver la réalité. En effet, on y découvre que le désir d’enfant idéal de la mère est mis à mal : le lecteur devient le témoin de l’avènement d’une personnalité qui expérimente et considère la vie humaine comme un grand laboratoire permettant d’emmagasiner des sensations, des émotions et des connaissances sur lesquelles s’appuyer pour croître. Les illustrations montrent ces expériences chaotiques sous la forme du désordre, de la désobéissance, de l’inclusion à un groupe de pairs… A chaque fois, la mère semble désespérée : elle n’avait pas imaginé que cela serait aussi complexe et elle n’hésite pas à dire que son enfant la rend FOLLE (écrit en majuscules), qu’elle le céderait bien à un zoo ou qu’elle a l’impression de vivre avec un animal. A nouveau, la nature et l’animalité sont convoquées à travers cette image du zoo. Les livres du début n’ont à première vue pas réussi à permettre une éducation plus sereine. A première vue seulement car en réalité, ce garçonnet est parvenu à devenir un homme, capable de prendre son envol, de fonder sa propre famille et surtout, apte à transmettre à son tour de la tendresse à son enfant et à éprouver de la gratitude envers celle qui l’a aimé de façon inconditionnelle, sa maman. Finalement, cette maman, dans ses apparents échecs tout au long de l’ouvrage, a pleinement réussi : elle a semé de l’amour chaque soir (la petite ritournelle qui revient à chaque fois) et, à la fin, son fils devenu homme en est devenu porteur à son tour, capable qu’il a été de trouver sa place dans une culture donnée sans sacrifier les parties nécessaires de son individualité. Il est donc question d’une transmission intergénérationnelle qui pose la question existentielle du juste milieu entre les dimensions collectives et individuelles qui nous habitent.

Grandir et éduquer : entre mise en conformité et avènement créatif 

Tout au long de l’ouvrage, une autre tension est prise en charge : il s’agit de l’ambivalence entre la mise en conformité des désirs et l’avènement d’une individualité unique et par définition asociale. La grande question sous-jacente est celle de l’identité : Qui suis-je ? Qu’ai-je hérité de mes parents et qu’ai-je inventé moi-même ?

Dans l’ouvrage, les éléments montrant les désirs divergents de la mère et de son fils prennent beaucoup de place. Mais il est également possible de mettre en évidence le mouvement contraire, c’est-à-dire celui consistant à reproduire des comportements ou des pensées de génération en génération. Les deux mouvements sont nécessaires mais à nouveau, c’est un juste milieu qui permet l’épanouissement de l’être. Si nous ne faisons qu’adhérer au désir de conformité de nos parents (et de la société), la partie créatrice de notre individualité va se mettre à hurler provoquant de lourds méfaits pouvant aller jusqu’à la maladie. A l’inverse, si nous sommes incapables de nous sentir limités, nous risquons une grande insécurité.
Ainsi, la répétition apparaît dans la dernière partie de l’œuvre : l’homme est devenu père à son tour. La tapisserie dans la chambre de son enfant est la même que celle qu’il avait quand il était petit chez sa mère. De plus, à la dernière page, c’est lui qui chante la chanson que lui chantait sa mère. Cette chanson est le symbole de ce secret que les humains se transmettent de génération en génération et il est très émouvant d’observer quand a eu lieu cette transmission dans le livre de Munsch et Jourdy : la maman, devenue vieille et malade est sur les genoux de son fils. Elle entame les premières notes de la chanson mais ne parvient pas à la terminer. C’est son fils qui prend alors le relais et termine le chant. L’amour s’est transmis d’un cœur à l’autre, n’est-ce pas cela la clé de l’éducation parentale ?

Les parents qui liront cette histoire à leurs enfants seront forcément renvoyés aux souvenirs de leur propre enfance lorsqu’ils disaient : « Quand j’aurai des enfants, je ferai l’inverse de ce qu’ont fait mes parents ». Ce sera alors l’occasion pour eux d’observer ce mystère humain qui cherche, expérimente, change, évolue… tout en gardant néanmoins la sensation d’être la même personne et de se reconnaître invariablement dans le miroir de l’enfance jusqu’à la mort. Il existe une asynchronicité permanente entre les générations. Cela peut poser problème mais, à nouveau, c’est l’amour qui cimente les relations en permettant à chacun d’exprimer ses besoins du moment sans annuler ceux qui les entourent.

Finalement, en accord avec ce que nous montre l’ouvrage, l’on peut affirmer que l’enfance est le temps de l’expérimentation, du détour. Parallèlement, l’adulte (qui a lui-même expérimenté cet état plus ou moins transgressif étant enfant), cherche maintenant à montrer ce chemin à ses enfants. Néanmoins, l’antagonisme des désirs nécessaire à la double contrainte d’avènement de l’individu dans un cadre collectif, empêche que la rencontre soit fluide et sereine. Et si l’on n’y prend pas garde et si l’on ne cherche pas plus loin que l’apparent conflit, l’on peut vite convoquer une troisième instance : la culpabilité. Heureusement, cette œuvre, parce qu’elle résonne avec bon nombre de réalités quotidiennes, est une véritable médication pour tenir cette instance éloignée des familles.

J’éduque donc je me trompe

Fort heureusement, cette œuvre ne s’inscrit pas dans le flot des images et des injonctions qui cherchent à faire de nous des parents parfaits et qui envahissent l’espace publique. En effet, les publicités, les magazines, les ouvrages « mode d’emploi » sur la parentalité et l’éducation regorgent d’une perfection inatteignable de laquelle seraient exclues toutes manifestations de colère ou de frustration. Il ne reste alors plus aux parents que la culpabilité de ne pas parvenir à être des parents sereins.

Dans Je t’aimerai toujours et malgré un titre semblant souligner seulement l’aspect positif de la parentalité, la colère et la frustration des parents ont droit de cité. La mère s’autorise à accuser son enfant de la faire devenir folle ; elle va jusqu’à souhaiter le vendre au zoo, le comparant à un animal, incapable d’être poli et bien élevé. Enfin, le livre souligne qu’il n’y a que quand l’enfant dort que sa mère lui témoigne son amour tendre. Combien de parents se retrouveront dans cette description ? Une grande majorité. Eduquer un enfant est complexe et réveille des émotions ambivalentes que la société de la performance ne prend pas du tout en charge. « Soyez de bons parents ! » voilà ce qu’intime la société sans donner d’indications supplémentaires mais en faisant suivre une publicité montrant des enfants heureux de posséder. Il n’en faut pas plus au cerveau humain pour en déduire très rapidement ce message : « Si je veux être un bon parent, je dois rendre mon enfant heureux et, pour cela, je dois lui acheter des objets ». A nouveau, ce message est extrêmement frustrant et culpabilisant car il annule toute la poésie contenue dans l’acte d’éduquer. Le sens est perdu et la beauté de la nature, si déstabilisante soit-elle, est reléguée au rang de bibelots sur une étagère ou de poster encadré au mur.

L’ouvrage ne se laisse pas abêtir par ce discours et, bien qu’il montre que posséder raisonnablement est souhaitable (avoir une sécurité matérielle : un logement ; partager des objets pour se sentir appartenir à un groupe : quand le jeune garçon joue au foot ou communique avec ses pairs…), il met surtout en avant la transmission inestimable que représente cette chanson. Aucun objet ne pourra remplacer cette transmission de cœur à cœur.

L’enfant qui lira ce livre comprendra également qu’il peut et doit se sentir autorisé à expérimenter dans les limites du respect et des règles qui l’inscrivent dans un collectif. Il ne doit pas culpabiliser de voir ses parents culpabiliser et surtout ne pas porter sur ses épaules ce fardeau que la société de consommation pourrait vouloir lui faire porter indirectement.

Conclusion 

Je t’aimerai toujours se fait le porte-parole du grand espoir que représente la vie. Avec douceur et poésie, mais sans omettre la nécessaire difficulté liée aux cycles d’évolution et d’involution qui se rencontrent lors de la vie humaine, l’ouvrage résonne profondément avec les vécus de parents qui sont confrontés à l’éducation de leurs enfants. Et, plutôt que de transmettre un message moralisateur qui prendrait le risque d’engendrer de la culpabilité, les auteurs font le pari de l’intelligence intrinsèque contenue dans les différentes dimensions de l’existence, qu’elles soient d’apparences positives ou négatives. Parfois, comme dans la démarche alchimiste, le plomb se transforme en or. C’est en tous cas vrai sur le plan psychique : du chaos nait l’ordre et cet enfant qui bouscule symboliquement sa mère est en réalité en train de construire un écrin intérieur, le plus accueillant possible pour le secret qu’elle va lui confier. C’est donc un ouvrage qui appelle la confiance en la vie. Elle ne répond pas à nos attentes à court terme mais qu’importe : elle fait son œuvre et au final, l’amour et la tendresse survivront à ceux qui les ont légués de leur vivant mais qui ne sont plus.

Julien LEDOUX, professeur d’école, docteur en sciences de l’éducation