Elisabeth Brami - Talents hauts

Illustrateur : Estelle Billon Spagnol

A cette période, un album de lettres au père Noël, n’est-ce pas aller un peu trop dans le sens du plus grand commerce de l’année?? Mais cet album ne pouvait entrer dans cette catégorie, vu qu’il est signé d’Elisabeth Brami, la psychologue qui n’a pas froid aux mots, et Estelle Billon Spagnol, l’auteur du hautement recommandable La Déclaration des droits des filles. En effet, on n’est pas déçu ! Chaque double page propose une lettre, particulièrement créative, manuscrite et drôlement illustrée, mais c’est la teneur des discours qui retient l’attention : toutes portent réclamation au Père Noël. Elles évoquent des situations concrètes loin des poncifs, expriment des sentiments courants mais souvent tus, ceux qui accompagnent les relations intrafamiliales, multiples, complexes et pas toujours roses. Car c’est amusant, hilarant parfois, mais dessous, il y a le canevas des vraies vies, avec leur lot de difficultés, et le questionnement des enfants est d’une justesse à frémir. C’est le principe de réalité à quoi ils vont réfléchir avec cet album : au-delà de la poupée ou du déguisement non conformes à l’attente, la déception d’avoir un chien en peluche au lieu d’un vrai interroge, de même que la « crise », notion mystérieuse mais d’un effet majeur sur la liste de cadeaux. Il y a aussi les évènements de la vie qui « gâchent la fête » : le décès du papy, la naissance d’une petite sœur pile ce jour-là… Et ces sentiments complexes comme la jalousie entre frères et sœurs (avec l’envie de se débarrasser du  frère gêneur :« pourrais-tu avoir la gentillesse d’envoyer un billet d’avion pour qu’il s’en aille LOIN ? » ! ) ou la culpabilité de celle qui a le double de cadeaux, le divorce des parents entrainant deux fêtes de Noël. Certaines lettres enfoncent utilement quelques clous : à 8 ans, Emma refuse ses « cadeaux pour filles », et Emile la mitraillette, lui qui avait demandé au Père Noël d’arrêter la guerre (le papa est militaire) ; Régina réclame une poupée noire comme elle plutôt que le baigneur qu’elle a reçu. Mais la déception majeure ? C’est la fin du mythe, découvrir que le Père Noël, ce sont les parents, on ne lui pardonne pas ! « On n’en est pas revenus de ce scoop !… Alors on te prévient, on ne t’écrira plus jamais de la vie… » C’est en effet un album de Père Noël pour ceux qui ne croient plus au Père Noël, allez, c’est pas triste !

Claudine Charamnac – Stupar