Rascal - Pastel

Illustrateur : Edith

Comme souvent, chez Rascal, le livre est passionnant. Cette histoire est celle d’un ogre qui ne porte ni nom, ni prénom. Il a mauvaise réputation, il « se racont[e] des choses monstrueuses à son sujet ». Ogre qui peut, parce qu’il n’a justement ni nom ni prénom, représenter tous les ogres ou toutes les peurs, il se retrouve dans la difficulté de sortir de chez lui, un matin d’hiver, en raison de la neige qui obstrue les fenêtres et la porte de sa maison. Il passe alors ses jambes par la fenêtre, chaussé de bottes rouges ressemblant étrangement à celles de sept lieues, se hisse à l’extérieur et, fasciné par le paysage sous la
blancheur, se réjouit d’une marche dans la neige. C’est alors qu’une aile, puis deux se fixent sur son dos. Monté au ciel, il se retrouve au coeur de nombreux nuages gris. Des enfants sont assis sur chacun d’eux, des enfants représentant sans doute ceux qu’il a jusque-là dévorés. Ogre veut prendre la fuite mais les deux ailes blanches se détachent et se transforment en une multitude de petites ailes permettant aux enfants de prendre leur envol et s’échapper. Ogre se retrouve, en quelque sorte, prisonnier d’un nuage. Les enfants rejoignent leurs familles dans la liesse générale. C’est depuis ce jour-là que, parfois, on
entend Ogre gronder du haut du ciel, les soirs d’orage. Le livre attire l’attention du lecteur sur sa dernière page, qui représente un enfant dans son lit. Il dort, un livre ouvert posé sur la couverture. Par la fenêtre, on voit la neige tomber à gros flocons. L’expression (« il se racontait »/« il se raconte ») reprise au début et à la fin de l’histoire, renvoie le tout à sa
dimension fictionnelle et peut-être aussi à la lecture de l’enfant dans son lit ou à son rêve. La tournure impersonnelle fait de la peur issue des « racontars » une peur non identifiable, la peur de l’ogre, cet être de chimère, qui confine à la présence accrue d’un trouble inexpliqué. Cette peur non raisonnée s’exprime notamment dans la peur de l’orage. Mais le titre peut signifier encore autre chose : Ogre vole comme un jeu de « pigeon-vole ». Ogre est pris au piège de son jeu : un ogre ne vole pas, il est donc éliminé. Il s’est fait « pigeonner », prendre au jeu des ailes : quelque chose se dit d’une façon de terrasser les peurs enfantines. L’épigraphe d’André Gide le disait déjà : Il est bien peu de monstres qui méritent la peur que nous en avons.

Régis Lefort