Jaffrenou, Yves - Rue du Monde

Illustrateur : Mary, Evelyne

Une fillette rencontre un loup. Malgré leurs différences, ils vont au-delà des apparences et décident de devenir amis. Divers éléments anecdotiques et fondateurs d’une amitié fusionnelle sont alors brièvement évoqués : l’intensité des regards échangés, le manque et le souvenir de l’autre, la complicité créatrice des jeux inventés ensemble : « jeu de rire sans parler, jeu des yeux brillants se regardant, jeu de faire comme si on s’endormait ». On y voit de surcroit un loup qui s’humanise au contact de l’enfant (à noter le changement vers la posture bipède). Contraste fort face à l’impulsivité barbare des villageois : « les gens du village n’étaient pas particulièrement méchants, on pouvait même dire qu’ils étaient de braves gens. Mais quand ils ont vu le loup s’approcher si près de la petite fille… ». L’album est classé dans la collection « Pas comme les autres » chez Rue du monde, avec raison ! La couverture saisit le lecteur, à travers le choix du fluo, le face-à-face des personnages, et l’apparence brute et éraflée de la gravure. D’ailleurs, malgré l’effet aplat de cette technique et la binarité volontaire des couleurs (tons rouges et verts), la composition des images décrit de nombreux mouvements et la profondeur des plans. L’écriture est brève, franche. Le verbe
est précis, poétique et élaboré. Et les quelques procédés narratifs du conte – répétitions et reformulations – en font aussi une histoire très agréable à lire à voix haute. Les enfants adhèrent au franc-parler de cet album qui ne les ménage pas : quand le loup meurt, on passe à autre chose, sans détour, ce n’est pas larmoyant. La gravure autorise ce langage brut. La lecture des images est de fait très intéressante. À travers la sobriété des illustrations, l’ambiguïté sous-jacente de l’histoire transparait : sur la dernière page par exemple, le texte suggère que la fillette a fait son deuil ; pourtant, la montagne qu’elle contemple révèle dans ses contours la silhouette du loup, suggérant dès lors l’omniprésence du souvenir… Histoire bouleversante, efficace et d’une grande beauté.

Pauline Bestaven