Marie-Aude Murail - Ecole des Loisirs


Ils s’étaient connus au club théâtre du collège, ils se retrouvent plus tard, dans le conservatoire de leur ville de province. Chloé, bonne élève d’hypokhâgne sous la pression constante de ses parents, Bastien qui refuse par principe et paresse d’apprendre quoi que ce soit, Neville, un peu voleur, un peu dealer : ils sont si différents, une fille et deux garçons qui vont pourtant devenir inséparables, un fascinant trio à la Jules et Jim version adolescente, pudique et émouvante. Leur vieux professeur a compris ce qui se noue ici dans leur passion commune du théâtre et leur solidarité enthousiaste à préparer le conservatoire de Paris. Il a compris surtout que si Bastien et Chloé ont peu de chances d’y arriver malgré leurs progrès formidables, c’est l’existence du trio qui va porter
jusqu’au sommet Neville, l’écorché, le talentueux et faire advenir celui qu’il pressent comme un futur Gérard Philippe. Lorenzaccio, le prince de Hombourg, voilà bien des rôles pour sa vibration tragique et dans l’Hippolyte de Phèdre, le voilà comme traversé par les alexandrins. Pourtant ce sont bien des jeunes d’aujourd’hui qui n’ont pas lu Marivaux et ne connaissent que l’Avare de Louis de Funès ! Mais Neville est si étonné à la lecture de sa tirade de Lorenzaccio qu’il dit : « Mais c’est qui ce mec ? » et d’une traite, lit la pièce qu’il achève en pleurs. Ce roman subjugue par sa façon de montrer comment des textes dits classiques peuvent être entendus par ces jeunes ; et nous identifiant à ces
héros, nous réentendons ces textes à travers eux, vivifiés. Chaque chapitre s’intitule joliment par une réplique bienvenue. Exaltant, cet amour du théâtre qui irrigue ce beau roman sur l’amour tout court, l’amour naissant, l’amour qui cherche ses mots. On a juste un problème avec un drôle de choix narratif : dans cette histoire de Bastien, Chloé et Neville, racontée à la 3e personne, l’auteur entremêle des passages au « nous » qui créent un malaise parce qu’on ne sait pas qui parle… Et c’est un nouveau malaise, rétrospectif, avec la révélation finale : Chloé a pris tous les points de vue et parlait d’elle à la 3e personne et au nous en même temps !?… L’idée d’un trio soudé n’avait pas besoin de cet artifice qui fonctionne mal.

Claudine Charamnac Stupar