Hubert Ben Kemoun - Rue du Monde

Illustrateur : Zaü

Premier d’une collection annoncée de Romans-BD, cet ouvrage est difficile à définir. Pas un roman, ce grand album en 25 x 31 qui ne contient pas moins de 125 images de Zaü… pas une BD, ces 70 pages où le texte séparé, dense, occupe autant de surface que les images, où les images n’ont pas d’autonomie narrative… est-ce alors un « roman graphique » ? Jean Christophe Menu qui fut de ses acteurs dès les années 90 en ayant déploré sa fin dans un article virulent (Comment les grands éditeurs ont tué le roman graphique, BibliObs 16/09/2015), on hésite ! Comme dans ces « BD alternatives », on y trouve bien « le rapport au réel, l’absence de héros et de limitation de pages, le plus souvent en noir et blanc » et bien sûr, la place essentielle des vignettes de Zaü – qui y ajoute un rouge strident-, souvent en pleine page, gros plans, effets de zoom ou de champ/contrechamp très cinématographiques, avec ce trait spécifique de Zaü, à l’encre noire épaisse où on lit la pression modulée sur le pinceau-plume d’une « main » de dessinateur. Tout cela dit l’originalité de la forme et c’est ce qui importe. Ces images illustrent donc le texte de Ben Kemoun qui préexiste, quoique le « pitch » ne soit pas facile à rédiger là non plus : 10 personnages s’entrecroisent, des ados au cœur malmené entre leurs amours et leurs amitiés, Damien aime Mélodie qui finit avec Jérémy, Malo aime Bettina qui aime Christopher mais si cela rappelle Marivaux, c’est actuel, déraisonnable et douloureux, l’amour, quoi … et s’ajoutent les amis, Mounir l’attentif qui met en garde, Kevin le possessif qui est jaloux, et la mère de Mélodie qui voit resurgir de sa propre adolescence une passion inavouée. Toute une ronde de personnages qui s’entrecroisent au long de trois journées de mercredi à samedi. Des dialogues souvent hilarants, (Kevin dit « valise intellectuelle » au lieu de bagage ou critique la « tronche napolitaine » de son copain !!) Pas de descriptions, une sorte de caméra subjective où le monde extérieur a la couleur des sentiments. Mais le réel extérieur, social, n’en est pas moins présent et en ce jour de Novembre 2015, certaines images font un drôle d’écho : la courageuse mère de Mounir, Malika la cuisinière, qui tient seule sa supérette, fait face à des tags racistes. Après les larmes et les tentatives de nettoyage, l’image de Zaü montre la réaction de Malika qui a complété elle-même le graffiti : La France aux Français… et la Bourgogne aux escargots.

L’arme du rire. Merci. Une lecture idéale pour des collégiens.

Claudine Charamnac Stupar