Xiran Jay Zhao - La Martinière Jeunesse


La jeune auteure de ce roman passionnant, de ceux qu’on ne lâche pas, prévient qu’« il ne s’agit pas d’une fantasy historique ni d’une uchronie mais d’un récit futuriste situé dans un monde tout à fait distinct du nôtre » ! Ajoutons qu’il s’agit d’un récit profondément féministe et contemporain alors même qu’il s’enracine dans la Chine ancienne, ses traditions les plus misogynes voire féminicides mais même temps la présence dans son histoire d’une grande impératrice, Wu, a inspiré très librement le personnage principal. Si je suis moi-même étonnée d’avoir pris autant de plaisir à suivre des batailles entre gigantesques engins qui semblent nés des jeux vidéos de nos jeunes, cela tient d’abord à la description étourdissante des sensations et des sentiments vécus par cette héroïne : la précision et la richesse en est telle qu’on vit intensément ses émotions. Or Wu Zetian est une fille ahurissante en rébellion contre son destin de fille dans une Chine des Han qui leur brise les pieds pour les contrôler : enragée contre cette tradition des pieds bandés par laquelle les filles « ont l’impression de marcher sur des couteaux », interdite de courses et autres mouvement,  issue d’un peuple « de frontière » méprisé, vouée par ses parents eux-mêmes à s’enrôler comme concubine-pilote d’engins de guerre, c’est-à-dire sacrifiée comme sa sœur qu’elle veut venger en tuant à son tour le célèbre pilote adulé des foules qui s’est servie d’elle, son courage est invincible, elle n’a peur de rien puisque la mort n’est que le moyen radical de sa vengeance. L’auteure originaire de Chine fonde l’imaginaire de son roman sur l’exploitation du qi, cette énergie spirituelle qui est ici quantifiable, repérable chez certains comme exceptionnelle, au point de transformer la matière et de s’additionner au qi d’un autre être pour devenir une arme prodigieuse. C’est donc d’abord un roman d’action, la lutte à mort d’une civilisation contre des envahisseurs, mais c’est aussi le roman d’une fille qui refuse les aliénations de sa condition, lutte contre ses sentiments par refus de se soumettre à un homme, et exige la reconnaissance légitime de ses capacités. 450 pages qui dépotent !!

Claudine Charammac Stupar