Alexis Galmot - Grasset Jeunesse

Illustrateur : Till Charlier

Voilà un livre à relire plusieurs fois tant les impressions de lecture sont contradictoires. Les premiers chapitres sont purement atroces de noirceur définitive. Louis et Adèle, musiciens sans le sou, vivent de musique, d’amour… et de mouches dans une minuscule soupente ; quand nait Jack, ils lui donnent le lit et dorment sur des tabourets, les années passent à manger des mouches. Puis les écailles de peinture au plomb du plafond. L’enfant tombe malade, les parents meurent. Jack passe sept ans dans un orphelinat. Puis autant chez un patron boulanger qui l’exploite. D’épouvantables injustices sont ainsi narrées à chaque page dans un style sobre et élégant, distancié, on se demande où veut nous emmener l’auteur. Jack ne sait rien faire sauf trois choses : des baguettes pas trop cuites, des religieuses au chocolat et jouer Les Quatre Saisons de Vivaldi qui l’ont au sens propre nourri pendant son enfance… Travaillant comme un forcené, il deviendra un boulanger réputé. Avec la réussite du héros, le roman dévisse… la fantaisie entre à flots. Une panne bloquant le calendrier électronique au lundi, voici que la ville ne connait plus que des lundis : que des jours de travail assidus, que des débuts de semaine acharnés, plus de congés, de weekends, de temps perdu, tout le monde trime, Jack devient riche mais épuisé. Alors, trafiquant le calendrier, il met tout le monde sur mode dimanche : interminable jour de fête, le temps de vivre est revenu, et pour Jack, qui est ainsi libre tous les après-midis, celui de se remettre à la musique qui a uni ses parents ; et la musique va lui apporter l’amour de la belle cantatrice Lady La Loola. Sous l’humour noir mâtiné de critique sociale et d’utopie, c’est l’histoire « d’un être vraiment bon, vraiment simple, vraiment vrai ». Les dessins sépia de Till Charlier lui ôtent sa dimension de conte et l’ancrent dans une réalité historique on croirait années 50, mais nombre de détails sont totalement actuels. Ce livre laisse perplexe, l’intention est difficile à cerner, mais, signe des livres qui comptent, il ne vous lâche pas comme ça, vous y pensez, vous avez envie d’en parler, c’est ce qu’on appelle la littérature…

Claudine Charamnac Stupar