Elzbieta - Rouergue


Elzbieta, c’est cette grande illustratrice qui a publié une cinquantaine d’albums, d’abord à L’Ecole des loisirs puis depuis plus de 15 ans aux éditions du Rouergue. Elle écrit sur les contes un essai agréable à lire, illustré de 20 microdessins originaux. D’un sujet beaucoup traité par la critique, Elzbieta fait un livre très personnel, autobiographique, et ses analyses qui commencent par « nous » impliquent directement le lecteur. Et nous la suivons avec intérêt dans sa référence au langage l-maana des Berbères du Haut Atlas marocain : ce langage est une esthétique de l’implicite, une façon d’induire un propos sans le formuler. Le linguiste Hassan Jouad le définit comme l’arme d’un combat instinctif contre l’intrusion de l’explicite et de ses déplorables simplifications.
Elzbieta l’illustre par l’anecdote savoureuse : Ce train va bien à Brighton, n’est-ce- pas ? m’enquis-je un jour auprès d’autre voyageur. Au lieu de m’affirmer simplement que oui, il me répondit : Well, I hope so ! Et elle commente tout l’implicite de ce lapidaire Espérons-le !… Dans les contes qui sont des narrations démonstratives où le sens reste à construire, la force des idées est de rester voilées. Sinon le conte dirait des choses trop brutales, sur la vie, sur les hommes… Et Ezbieta a raison de critiquer les films basés sur les contes qui ont entre autres le défaut d’expliciter ce contenu latent du conte qui devrait demeurer obscur. Car c’est cette obscurité même qui provoque le début d’un processus mental actif de l’enfant pour décoder le monde. Par ailleurs, Elzbieta montre avec moult exemples vivants comment la fixité des images, la répétition, la fin heureuse avec la victoire du héros, sont pour l’enfant la garantie de
la stabilité de ce monde. Elzbieta reconnait : Dans la visée que je poursuis à travers mes albums adressés à l’enfance, le plus important consiste dans son non-dit, regrettant que la traduction si souvent en chasse l’implicite sans oublier que l’adulte va expliciter encore. Laisser le conte dire ou taire. Le conte malgré des horreurs extrêmes qu’il raconte parfois instruit sans épouvanter. Les émotions y sont ainsi distanciées. Et notez que Blanche Neige ne pleure jamais. Les éditions du Rouergue rééditent en même temps L’enfance de l’art, ouvrage de référence tant sur la littérature de jeunesse que sur la démarche d’Elzbieta, publié en 1997, à la lecture toujours aussi réjouissante.

Claudine Charamnac Stupar