Philippe Barbeau - Atelier du Poisson Soluble

Illustrateur : Marion Janin

Quoique paru il y a déjà un an, nous ne pouvions pas laisser passer un tel enchantement… Quelle subtilité dans cet album qu’à notre avis, les amateurs installeront dans leur collection de beaux ouvrages ! Mais qui n’en séduira pas moins les enfants avec qui on pourra le lire dès 5 ans car l’histoire de Philippe Barbeau et les images de Marion Janin sont au même niveau, exceptionnel. On insistera d’abord sur ce rôle de l’illustrateur. Si Marion Janin a vécu ce temps de l’illustration venu après celui de la création du texte, pour le lecteur, ce sont bien ses images qui sont la porte d’entrée dans le texte. La couverture d’ailleurs donne une idée insuffisante de l’originalité des images intérieures. Plume très fine, micro-détails, talentueux dessin académique qui bascule vite dans le surréalisme d’un monde en macro-vision où s’entremêlent le minéral et le végétal. On tente ainsi de décrypter ces étranges concrétions où se mêlent pierres et racines, nature et constructions humaines; on interroge ces fils qui dessinent avec précision des visages, ces dessins où seuls quelques détails sont colorés, une ceinture, une broderie ; on perçoit des parallélismes entre les pages, une structure émerge; se construit peu à peu un univers à la fois exotique et proche, un récit de quelque part qui pourrait bien être ici. Car c’est bien le but de l’illustratrice comme de l’auteur Philippe Barbeau de nous laisser dans un flou spatio-temporel : c’est une ville entre mer et montagne, on y joue de l’oud, les deux enfants se nomment Karim et Amine et les maisons en terrasses ou les bas-reliefs vaguement assyriens (?) renvoient à un Moyen Orient fantasmé. Mais les vêtements
métisses ou tel chignon plutôt asiatique ou encore des ruines qui rappellent Angkor, tout concourt à troubler une identification au profit d’une universalité qui est celle de ce conte moderne : la déchirure des
guerres, les villes ou les pays coupés en deux, les ennemis parce que l’un est de l’est, l’autre de l’ouest, là où il y avait la musique de l’oud et la paix , il n’y a plus que le sang et la haine, ce pourrait être le Liban,
Berlin ou la Palestine, voilà un malheur de partout et de toujours. La narration est portée par un homme pacifique, un coiffeur, qui ne cessera ni de coiffer ni d’oeuvrer pour réconcilier les frères ennemis. Et les
pierres là-dedans ? « Les pierres ont parfois des silences qui apaisent ». Elles auront « des silences qui désolent » et un jour « des silences qui gagnent »… et font taire les fracas. L’auteur évoque les pierres en leitmotiv, l’illustratrice en a fait le coeur de ses images : pierres taillées, galets polis ou rose des sables, témoins muets du bruit des hommes, elles dessinent une énigme qui laissera trace dans la mémoire du lecteur.

Claudine Charamnac Stupar