Guy Jimenes - Oskar


Rares sont les romans en édition jeunesse qui abordent cette période. Il faut d’ailleurs signaler que celui-ci est une réédition du titre paru en 2007 dans la collection « Roman jeune adulte ». A quoi tient cette frilosité ? On peut la comprendre dans les publications espagnoles qui ont dû attendre la mort de Franco pour lever le silence, mais en France ? On se souvient de No pasaran de Christian Lehman à L’Ecole des loisirs ou d’Une auberge espagnole de Luis Bonet en Page blanche Gallimard ou en BD de l’excellent Soledad de Tito. Peu de titres, comparé à la surabondance de romans ou d’autobiographies consacrés à la seconde guerre mondiale. C’est vite oublier que celle-ci a commencé dans une Espagne ravagée par la guerre civile.
Ce roman est d’autant plus intéressant qu’il aborde le conflit sous deux angles : l’un s’inscrit dans le passé, l’autre dans le présent. Le passé, c’est celui du bombardement de Guernica. Le récit mené à la troisième personne met en scène Emilio, un jeune garçon qui accompagne son père au marché. Ils y rejoignent le reste de la famille. Tous, excepté Emilio, périront dans le bombardement. Le garçon sera recueilli par un couple qui vient de perdre son fils. Le présent est celui de la narratrice, Isaura, jeune femme qui, au terme de ses études, s’inscrit dans un chantier de fouilles. Il s’agit d’ouvrir « les fosses du franquisme ». Quelles sont ses vraies motivations ? Participer à ce devoir de mémoire qui s’est fait jour en Espagne ? Le mystère que représente son père assez âgé pour avoir vécu enfant le conflit ? Pas de famille, une façon étrange d’évincer toute question sur son enfance. Et question plus grave : avec sa famille, de quel côté avait-il pu être ? Bien sûr, ces deux branches du roman vont se rejoindre. Au-delà d’un récit sur la guerre d’Espagne et l’épisode dramatique de Guernica, l’oeuvre permet de poser la question de la mémoire, de la nécessité vitale pour les enfants de connaître le passé des pères pour vivre le présent. La richesse documentaire n’alourdit pas une écriture fluide. Le ressort dramatique du lien filial menacé par le silence et le secret est fort. On retrouve dans ce récit les qualités d’écriture qui nous avaient fait signaler en 1992 La Protestation (Syros) ; ce très beau roman adapté au théâtre par la compagnie « Les fous de Bassan » vient d’être réédité aux Editions du Somnambule équivoque.

Bernadette Poulou