Carteron, Martine - Rouergue


Le premier roman de cette série Les autodafeurs, Mon frère est un gardien avait été très remarqué et récompensé. Le troisième et dernier Nous sommes tous des propagateurs est particulièrement passionnant, le conflit au coeur de la narration reposant sur une réflexion intelligente sur le sens de l’histoire et l’évolution de l’humanité, ceci emporté par un rythme parfait et une écriture souvent très drôle. Un combat millénaire. D’un côté, les Autodafeurs
qui veulent réduire l’homme à une machine à consommer, détruire la pensée, et d’abord tous
les livres, en un autodafé apocalyptique où les flammes sont remplacées par des insectes
génétiquement modifiés capables de réduire en poussière une bibliothèque dans la minute
programmée, et bien sûr détruire tous les hommes qui s’opposent à ce dessein. De l’autre,
ceux qui veulent préserver la paix, la transmission du savoir, et la mémoire de l’humanité riche de toutes ses formes d’expression. C’est la mission de l’Ordre, la Confrérie, qui a ses Gardiens, ses Traqueurs (de livres) et ses Propagateurs, et ce depuis le début de l’Histoire, et on rencontre ainsi Noé, Aristote, Alexandre le Grand, Marco Polo et Christophe Colomb, tous ces grands voyageurs de corps ou d’esprit sont autant de jalons dans une résistance secrète afin que l’humanité ne coure pas à sa perte. On trouve là l’écho d’inquiétudes actuelles sur la responsabilité de l’homme dans une catastrophe planétaire, et une intéressante vision surplombante qui, évitant les perspectives étriquées des nations ou des peuples, regarde les choses du point de vue de l’humain qui, quelle que soit son origine, est dans le même bateau, la Terre, en grand danger. On retrouve une thématique courante de la SF, l’importance des livres et leur possible disparition, comme dans Farenheit 451. La dystopie rejoint ici la fantasy, l’« arche » de Noé – qui s’avère une tablette tactile ! – en est le point d’orgue, et tout finit bien pour les héros. Héros qui sont parmi les aspects les plus attachants de ce roman, ados tout d’une pièce, fragiles et téméraires, intelligents, frimeurs, cachant leurs sentiments derrière des comportements de tête-à-claque, dotés d’un humour ravageur. J’ai eu un faible pour les chapitres du journal de la petite soeur Césarine, à l’étrange comportement d’autiste Asperger, hyper-rationnelle, capable de tuer sans émotion, mais qui exaspère tout le monde en prenant à la lettre les expressions toutes faites : Je vais péter un câble ! Ah bon, quel câble veux-tu casser ?… mais dans son journal, la description de ses crises de panique et son angoisse confine à la poésie. On quitte à regret ce roman vif qui clôt la trilogie mais le lecteur attentif et accro ne manquera pas la dernière phrase de Gus qui s’interroge : «si nous savons que Noé a été dérouté dans l’Antiquité… où donc ont atterri Canaan et son arche ? » A suivre ? Noé avait un frère…

Claudine Charamnac Stupar