Joëlle Ecormier - Cipango / Océan

Illustrateur : Cécile Gambini

Objet original par le fait qu’on le feuillète non pas de droite à gauche mais de bas en haut, il est construit sur un échange de mails entre une fillette à la Réunion et sa tante en Laponie. En haut le texte du courriel, en bas la pièce jointe, une image de leurs univers respectifs. Délicieux courriels autour des demandes au Père Noël de Camille qui finissent toutes dans la Boite des Cadeaux Impossibles : une vraie baleine, des neiges éternelles à la Réunion ou un lasso pour attraper les cyclones… La petite est un peu poète, sa tante aussi a l’air extravagante, et elles accompagnent chacun de leurs mails d’une peinture : construction et coloris, (oublions l’affreux Père Noël) les illustrations de Cécile Gambini sont superbes. Détail supplémentaire spirituel, chaque mail nous fait un clin d’oeil avec un jeu sur les adresses, herminie@ globe-trotteuse.dechute ou camille@iledelareunion.culminant, façon ludique et séduisante de s’approprier les nouveaux codes de la communication. C’est mon coup de coeur. Mais il y a un problème.
Il est sorti en octobre 2017 et parle du Père Noël. Les éditeurs vont pincer le nez au motif que je ne suis guère réactive, que ma note arrive trop tard. Trop tard pour quoi ? Pour les cadeaux de Noël 17 ? C’est sûr. Mais en avance pour Noël 2018 ! Trop tard parce que les ventes d’un livre comme celles d’un film se décident dans les premières semaines ? Le temps d’un livre est donc exclusivement celui du marché? Un livre est-il un produit saisonnier? Un produit périssable comme les truffes et le foie gras? Et là, je peste et je revendique. Foin de ce turn-over insupportable qui fait d’un livre de l’an dernier un truc obsolète !

Un livre ne relève pas du temps des calendriers et des dates de péremption. Il relève de cette durée que Bergson concevait comme élastique, mouvante, ralentissant ou accélérant au gré de nos émotions, il lui faut parfois du temps pour s’installer, pour nous séduire, parfois au premier regard il nous saute littéralement
au coeur et croyez-vous qu’alors on accepte de le laisser recouvrir par les innombrables parutions qui suivront ? Parfois on ne l’a pas vu, ou pas aimé et on le découvre des années plus tard, devenu un « classique », on regrette d’être passé à côté. Parfois, il s’est enlisé, oublié dans une caisse, et le voilà qui ressuscite dans le
plaisir de la génération suivante, ah oui !!! les Crapougneries, hmmmm, mes 5 ans , disait une de 40 ans il y a peu… Dans les années 70, j’apprenais qu’on était passé de la galaxie Gutenberg, celle de l’écrit, à la galaxie Mac Luhan, celle de l’image, comment s’appelle celle où nous naviguons aujourd’hui ? Celle de la logorrhée universelle, celle du discours proliférant, oral, écrit ou iconique ? Dans les médias, mots entendus, mots lus, images disparaissent aussitôt nés, l’un chassant l’autre… Si contrairement aux prédictions les livres n’ont pas encore disparu, c’est qu’ils sont précisément dans un autre espace temps.
A NVL la revue, on est attentives aux nouveautés, c’est notre passion, mais nous veillons constamment à leur accorder du temps, à reparler des livres importants, et à travers nos dossiers, autour d’un thème ou d’une problématique, à montrer comme est toujours vif le propos de tel livre, comme l’actualité d’un livre n’est pas celle de sa date d’édition, comme certains dialoguent et se répondent par delà les années. Je me souviens d’une illustratrice connue qui m’a parlé avec douleur de ses livres passés au pilon, (le livre est épuisé, définitivement inaccessible, parce que l’éditeur a dû faire de la place…) Poursuivons notre réflexion et rejoignons l’avis de beaucoup d’acteurs du livre, le problème n’est-il pas que vous, éditeurs, vous publiez trop ? L’édition jeunesse se porte bien et on publie des ouvrages magnifiques mais à côté de ceux-là, que de livres non nécessaires encombrent librairies, bibliothèques, salons, catalogues…, dévorent les budgets, engloutissent dans leur masse les ouvrages majeurs.
Less is more ?

Claudine Charamnac Stupar