Martin, Serge - Harmattan (L')


Sous-titré Le racontage de la maternelle à l’université, Serge Martin propose là un essai didactique foisonnant dont la lecture ardue au début s’éclaire au fil des exemples pris dans la littérature jeunesse, et des propositions concrètes à partir desquelles on voit s’élaborer une pensée dynamique et vivante de la lecture littéraire. L’ouvrage réfère cette « trouvaille lexicale et notionnelle » de racontage à Walter Benjamin dans Le raconteur et à sa quête d’une oralité de l’écriture. Il envisage une didactique du dire qui traverserait l’habituelle trilogie « parler, lire, écrire ». A priori, dire est au parler ce que lire est à l’écrire mais Serge Martin pose le dire au coeur de toutes ces activités langagières, au coeur de la subjectivation par le langage. Plus qu’un exposé didactique, l’ouvrage se veut atlas, table
d’orientation, organise ses chapitres en Constellations, Etoiles et Comètes, ces métaphores spatiales ou géographiques suggèrent un parcours dans un espace infini où le sujet va devoir bouger, avancer, s’orienter… bref, y aller. Car, plutôt que d’expliquer, le racontage propose de rencontrer. Il ne s’agirait pas d’étudier l’oeuvre comme un objet, « le racontage ne vaut que comme passage du sujet, voix dans la voix et donc réénonciation continuée… ». Pour la littérature enfantine, les notions de raconteur et racontage seraient plus efficientes que celles de narrateur et narration, le racontage incluant un écouteur et par là, une relation de voix à voix, l’expérience d’un corps–langage, une relation de sujet à sujet. Dans cette perspective, Serge Martin s’applique donc à démonter la position de critique littéraire, avec des exemples pris chez Maingueneau ou Van der Linden en littérature jeunesse. Contre les vains technicismes, il s’agirait de mettre en oeuvre une critique « d’écoute » et de réénonciation. Si nous voyons ce que cela signifie du côté de l’enseignement et de l’approche des oeuvres par les élèves, nous aimerions mieux saisir ce que cette conception de la critique littéraire implique pour notre propre engagement dans cette revue d’information
et de critique… D’autant que nous trouvons passionnant le fait qu’il fonde sa réflexion sur l’album, création complexe qui à chaque fois doit constituer sa propre critique, l’album et son labyrinthe texte-images, surtout l’album et son rythme qui en constitue la singularité et que seul le racontage peut approcher en le poursuivant… Ainsi le racontage comme pluralité de voix s’actualiserait dans diverses activités de reformulations qui ont pour but de faire vivre l’oeuvre en lui posant des questions plutôt qu’en répondant à des questions, vision de
l’oeuvre comme un processus actif et infini qui engage l’élève à faire oeuvre avec elle. C’est donc toute une didactique de l’écriture qui découle de cet intérêt pour l’oralité. Et de même que sont passionnantes les lectures qu’il fait de nombreux livres jeunesse allant de L’Album d’Adèle aux Derniers géants, de Corentin à Ungerer ou Léo Lionni, on appréciera sa didactique de l’oralité à l’aune de ses intéressantes propositions sur le recueil La belle vitesse d’Ariane Dreyfus. Il serait présomptueux de vouloir résumer tout l’ouvrage, une somme où on trouve des chapitres sur l’animalité et l’anthropomorphisme ou sur le rire en littérature jeunesse, aussi bien que sur la romancière Malika Ferdjouk. L’auteur termine sur
le thème de l’engagement, ce qui permet de conclure car le racontage qu’il prône est « engagement d’un dire partagé ». Le racontage et ses « voix continuées » mettent les oeuvres en mouvement, faisant de la littérature un lieu d’expérience de soi et de relation.

Claudine Charamnac Stupar