Quand on a eu une éducation franc-maçonne,

un grand-père anarchiste,

un engagement précoce au parti communiste…

Quand on a été garde du corps de Salvador Allende,

que l’on a vécu un coup d’état,

que l’on a été condamné à 28 ans de prison, commués en années d’exil…

Quel genre d’ouvrages écrit-on pour la jeunesse ? Que veut-on transmettre aux générations futures ?

Luis Sepúlveda se présentait comme un homme du sud. Du sud austral.

Sa relation avec le Chili, le pays sismique qui l’avait vu naître était une relation orageuse, constituée d’amour et de haine, c’est sans doute pour cela qu’il était un grand voyageur, un citoyen du monde, un amoureux des peuples primitifs et un porte-parole de la préservation de la nature.

Ce grand lecteur, friand de récits d’aventures âpres, qui affectionnait Jules Verne et Francisco Coloane affirmait que sa seule patrie était la langue espagnole, son seul horizon, la mer, espace d’ouverture, espace des possibles.

Luis Sepúlveda aimait la vie et les être humains même et surtout pendant les heures les plus sombres quand seules la camaraderie, l’entraide, l’humour et la fidélité leur permettent de survivre au pire.

Ses personnages parfois désabusés mais non dénués d’humour incarnaient des valeurs intemporelles telles que l’humilité, la valeur d’un serment, la foi en la parole donnée, la force de l’amitié résistant à la morsure du temps.

Dans ses récits pour la jeunesse, il encourageait ses petits lecteurs à faire fi des moqueries, des critiques, des convenances sociales, à défendre ce en quoi des enfants vierges de tous préjugés pourraient croire dur comme fer : la tolérance, la transmission, le partage d’expériences, l’abolition des conflits inter-races, inter-espèces, inter-classes et la fin des rapports de forces dominants-dominés.

Dans le récit Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler   imaginé par le romancier en 1996, une mouette gestante à l’agonie soutire trois promesses à un chat « domestique » patachon.

Quand on est un chat, vrai de vrai, en digne représentant de son espèce, on se fait entretenir, on se prélasse au soleil à longueur de temps, on contemple avec envie des oiseaux qui pépient, on rejette toute forme de contrainte et on n’accepte pas d’obéir à l’appel de son nom.

Quand on est un félin, et un mâle de surcroît, on a un statut à défendre dans son quartier. On est un fier matou, dur de dur, désinvolte et nonchalant.

Quand on est un chat créé par Luis Sepúlveda, on se laisse émouvoir par sa proie toute désignée au point de surmonter son instinct naturel de prédation.

Quand on est ce chat-là, on s’engage à couver l’oisillon qui nous a été confié, à le nourrir, à l’élever et à lui apprendre à voler.

Un chat, tel qu’on le conçoit, ne sait, ne peut et ne volera jamais. Pour autant, le chat créé par Luis Sepúlveda, devra saisir le mécanisme de l’envol, la force du vent, l’équilibre du corps pour être en mesure de transmettre à son petit protégé la faculté et la grâce d’échapper aux lois de la gravité.

Ce chat-là devra mettre de côté sa fierté pour demander conseil, demander de l’aide, s’entourer d’alliés, dévier de son destin tout tracé, abandonner sa zone de confort.

La promesse que le chat met un point d’honneur à  accomplir et la lourde responsabilité qu’il accepte d’endosser, est la chance de découvrir en lui, en soi, des ressources insoupçonnées, une incitation à s’ouvrir aux autres, une occasion unique de se dépasser.

Dans notre société hyperconnectée, déshumanisée, Sepúlveda louait l’humanisme. Il militait pour la lenteur, le goût des choses simples, le plaisir des contacts bien réels, incarnés.

Il plaidait pour le respect des animaux, des forêts et des océans.

En ce mois d’avril 2020, c’est dans une petite ville espagnole située à une trentaine de kilomètres de l’océan Atlantique, que Luis Sepúlveda, après un mois et demi de lutte acharnée, a rendu les armes face au Covid-19.

Marga Veiga Martinez

Bibliographie

  • 1996 : Historia de una gaviota y del gato que le enseñó a volar, ouvrage de littérature d’enfance et de jeunesse Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler, traduit par Anne-Marie Métailié, Paris, Métailié, 1996 (ISBN 2-02-030043-5)
  • 2013 : Historia de Mix, de Max, y de Mex

Publié en français sous le titre Histoire du chat et de la souris qui devinrent amis, traduit par Bertille Hausberg, Paris, Métailié, coll. « Bibliothèque hispano-américaine », 2013 (ISBN 978-2-86424-910-8)

  • 2014 : Historia de un caracol que descubrió la importancia de la lentitud

Publié en français sous le titre Histoire d’un escargot qui découvrit l’importance de la lenteur, traduit par Anne-Marie Métailié, Paris, Métailié, coll. « Suites », 2017 (ISBN 979-10-226-0726-1)

  • 2016 : Historia de un perro llamado Leal

Publié en français sous le titre Histoire d’un chien mapuche, traduit par Anne-Marie Métailié, Paris, Métailié, 2016 (ISBN 979-10-226-0521-2)

  • 2018 : Historia de una ballena blanca publié en français sous le titre Histoire d’une baleine blanche, traduit par Anne-Marie Métailié, Paris, Métaillé, 2019 (ISBN 979-10-226-0901-2)