A paraître:  « Considérons les animaux »  – NVL 232- Juin 2022

A paraître: « Considérons les animaux »  – NVL 232- Juin 2022

Si les animaux anthropomorphes constituent un motif littéraire récurrent, c’est une thématique sociétale qui nous réunit ici :  celle des animaux considérés pour eux-mêmes, celle , de plus en plus audible, d’une cause animale, en tant que son argumentation porte de plus en plus largement, modifie des comportements individuels (par l’alimentation) ou collectifs (vis-à-vis des abattoirs, cirques, zoos et delphinariums…) et surtout débouche une refondation philosophique de la place de chaque espèce. Cette prise de conscience doit être la plus précoce possible pour devenir une action. Alors, voyons, considérons les animaux…

Escale du livre

Escale du livre

À l’occasion de ses 50 ans NVL-la revue sera présente à l’Escale du Livre du 8 au 10 avril 2022.

Conférence de Claudine Stupar, intitulée « Masculin Féminin Autres », le samedi 9 avril 2022 à 15h.

Petit-Bleu et Petit-Jaune

Petit-Bleu et Petit-Jaune

Sidérés par ce qui se passe en Ukraine et les bruits de guerre que les enfants européens d’aujourd’hui pourraient connaitre… Léo Lionni auteur de ce prodigieux album de 1959 qui parlait de la différence n’imaginait pas qu’il prendrait un tel sens symbolique en 2022…

Histoire afro-américaine en littérature jeunesse

Histoire afro-américaine en littérature jeunesse

🎵« Au fond rien n’a changé, pas de paix, de justice. T’es toujours en danger seul face à la police. […] Comme si l’histoire n’était qu’une boucle, ils tueraient à nouveau Malcolm X. »🎵  Malcolm X, Daddy Mory et Taïro

Le 25 mai 2020, aux Etats-Unis un homme noir est mort, assassiné par un policier blanc qui appuyait son genou sur son cou. Cet acte au XXIe siècle rappelle malheureusement que le racisme qu’on espérait  disparu est toujours présent dans notre monde.

Le racisme n’étant pas quelque chose d’inné, l’éducation devrait permettre de l’éradiquer. La littérature est un atout pour cet enseignement, surtout la littérature jeunesse qui comme son nom l’indique s’adresse aux plus jeunes. La suite de cet article sera une petite bibliographie[1] commentée d’ouvrages de littérature jeunesse traitant de l’histoire afro-américaine.

L’Esclavage

Henry et la liberté, Ellen Levine/Kadir Nelson, Editions des Elephants, 2018.

Album bouleversant, Henry est un jeune esclave qui subit les mauvais traitements de ses maîtres. Il tombe amoureux d’une femme, avec qui il a des enfants. Un jour, tout le monde disparait, le maître de sa femme n’étant pas le même que le sien a vendu sa famille. Maintenant qu’il n’a plus rien à perdre il va fuir les états du Sud, et découvrir la liberté.

Harriet Tubman : la femme qui libéra 300 esclaves, Anouk Bloch-Henry, Oskar, Coll. Elles ont osé, 2019.

Harriet Tubman est une jeune esclave qui ne peut se résoudre à accepter sa situation précaire, telle une marchandise, elle peut être séparée de sa famille. Elle va donc fuir, et survivre à cette fuite. C’est déjà un certain exploit, mais cette héroïne ne s’arrête pas là, elle va repasser la frontière de nombreuses fois pour libérer d’autres esclaves au péril de sa vie.

Ces deux personnages n’ont pas accepté leur situation et ont pris les choses en main pour combattre le racisme ambiant. Malgré l’abolition de l’esclavage, certains blancs se sentent toujours supérieurs aux noirs. Les plus racistes se sont regroupés dans un clan, le Ku Klux Klan, qui terrorise la population noire. Le clan est évoqué dans des petits romans comme L’arbre aux fruits amers d’Isabelle Wlodarczyk chez Oskar. Un blanc est tué, des noirs sont accusés. La justice étant très expéditive, malgré leurs protestations les jeunes gens sont pendus, d’autant plus que le petit ami du mort aurait été violé. Le KKK reste très présent et s’opposera fermement aux mouvements pour les droits civiques, qui verront naître de fortes personnalités tel que Martin Luther King, ou mettront en lumière un geste, celui de Rosa Parks.

Rosa Parks

Les Etats-Unis qui ont aboli l’esclavage, continuent à travers la ségrégation raciale à nier l’égalité des droits entre blancs et noirs. Les noirs sont séparés des blancs, pour nombre de choses. Par exemple dans les bus le fond est réservé aux noirs. Ils peuvent s’assoir devant s’il n’y a pas de blancs et autrement doivent rejoindre l’espace réservé. Rosa Parks en 1955, va refuser de laisser sa place à un blanc et ainsi rester à l’avant du bus. Elle va subir nombre d’insultes mais restera assise jusqu’à son arrestation par les policiers. Ce geste très courageux est évoqué de nombreuses fois en littérature jeunesse, faisant de cette femme le symbole de la lutte contre le racisme.

La femme noire qui refusa de se soumettre, Eric Simard, Oskar, coll. Résistantes-Résistants, 2013

Rosa Parks, non à la discrimination raciale, Nimrod, Actes Sud Junior, 2014.

Le bus de Rosa, Fabrizio Silei/Maurizio A.C. Quarello, Sarbacane, 2011.

Martin et Rosa, Raphaële Frier/Zaü, Rue du monde, coll. Grands Portraits, 2013.

Rosa Parks tout comme Martin Luther King et d’autres icones noires sont présents dans I have a dream de Jamia Wilson et Andrea Pippins, publié chez Casterman, qui regroupe 52 personnalités noires ayant marqué l’Histoire. Ce livre permet de voir que l’histoire principalement blanche est aussi marquée par des noirs qui doivent toujours lutter.

Ecole

La ségrégation était aussi présente dans l’éducation, les écoles étant racialement séparées. Il a fallu attendre pour que certains élèves noirs puissent aller dans des écoles blanches.

A noter le merveilleux album Ruby tête haute d’Irene Cohen-Janca et Marc Daniau, qui montre la hargne des blancs contre cette petite fille noire, obligée d’aller à l’école escortée par des policiers. Il en est de même pour Les 9 de little rock d’Elise Fontenaille, édité chez Oskar ou Dorothy Counts d’Elise Fontenaille aussi édité chez Oskar. Que ce soit en album ou en roman, tous transmettent cette peur d’aller à l’école dans un pays où c’est un droit. Il faut faire face à la haine populaire à l’extérieur mais aussi à l’intérieur de l’établissement, le racisme étant pour certains héréditaire.

Aujourd’hui

On pourrait supposer que le passage au XXIe siècle ait apaisé les tensions et pourtant il n’en est rien comme le prouve l’actualité avec les trop nombreux meurtres. L’opinion publique a changé, mais certains restent enfermés dans des clichés.

The hate U give d’Angie Thomas publié chez Nathan montre bien que la police tout comme dans les années 30 n’accepte pas l’innocence des noirs. Ce roman raconte la mort de l’ami de la narratrice tué par un policier qui pensait que le jeune homme allait sortir une arme. Des émeutes vont suivre ce meurtre et mettra la ville à feu et à sang.

RIEN NE CHANGE !

Il est très important d’ajouter à cette bibliographie les romans de Malorie Blackman, Entre chiens et loups. C’est une dystopie car ce sont les noirs qui ont le pouvoir. On remarque d’ailleurs très rapidement que les opprimés tentent de se rebeller, allant jusqu’à faire éclater une bombe et donc tuer nombre d’innocents. Transposer les rôles permet d’éclairer sous un nouveau jour cette histoire afro-américaine et peut-être que certains comprennent « Black lives matter ! ».

 

Pour aller plus loin, filmographie (totalement sélective selon mes visionnages)

The hate U giveBlack Panther (film) - Wikipedia

La couleur des sentiments

Le Majordome, une fresque sur l’histoire afro-américaine des champs de cotons à la maison blanche

Black Panther, premier super-héros noir

I am not your negro, Documentaire sur James Balvin et l’histoire des droits civiques

Dans leur regard, un groupe de jeunes noirs est accusés de viol, dans les années 70.

[1] Ouvrages reçus au Centre Denise Escarpit

 

Maylis Cormont

Apoutsiak, le petit flocon de neige, un album du Grand Nord à la croisée des genres.

Si l’album contemporain a pu faire émerger de multiples interrogations concernant les formes hybrides qu’il propose, certains albums plus anciens ne sont pas en reste : Apoutsiak, le petit flocon de neige, écrit par Paul-Emile Victor et publié par le Père Castor en 1948, en fait assurément partie.
Cet album inaugure la série « Les enfants de la terre »[1], créée après la seconde guerre mondiale dans un esprit d’ouverture au monde et à la diversité des cultures. Esprit qui se trouvait en germe, comme le rappelle Michel Defourny, dans le tout premier album publié par le Père Castor, illustré par Nathalie Parain Je fais mes masques (1931) qui est presque un « manifeste » :
Au terme d’un habile découpage (…), l’enfant peut prendre les visages de différents habitants de la planète. Grâce à ces masques, le petit Français, la petite Française prendront les traits d’un indien d’Amérique, d’un Esquimau d’un Africain. D’emblée, le Père Castor affiche une orientation humaniste et planétaire. (…) Sans que l’éditeur en ait peut-être conscience, les semences de la future collection « Les enfants de la Terre » sont lancées.[2]

Après Apoutsiak, viendront de nombreuses autres figures d’enfants du monde : d’abord figures de jeunes garçons  comme Amo, le peau-rouge(1951), Mangazou, le pigmée(1952), Jan de Hollande(1954) puis plus tardivement, dans les années soixante-dix, des figures de jeunes filles comme Sarah, petite fille du voyage (1972), Mandy américaine de New-Jersey(1973) ou encore Sinnika de Finlande(1974).  Le principe qui préside à chacun de ces albums est de présenter un pays ou une culture à travers une double entrée – fictionnelle et documentaire – et par deux modes de représentation – le texte et l’image-. Ainsi les personnages inventés à partir de données réelles et représentés dans le texte et les images permettent de découvrir le quotidien des habitants d’un pays, d’une région.  Par ailleurs, au texte fictionnalisé s’adjoint un autre texte (généralement en police réduite) qui relève du discours explicatif. La plupart des albums sont aussi dotés de cartes géographiques. Pour l’élaboration de certains de ces albums, Paul Faucher a pu s’appuyer sur des travaux de spécialistes, comme pour Mangazou, le pigmée, qui s’est inspiré des travaux de l’anthropologue Raoul Hartweg[3]. Pour Jan de Hollande, si le texte est de Paul François (nom de plume de François Faucher) et Jean-Marie Guilcher, les illustrations sont de Gerda – Gerda Muller – qui est elle-même hollandaise et a dû très certainement être sollicitée lors de l’élaboration du texte : d’ailleurs, comme un clin d’œil, la sœur de Jan se nomme Gerda. Tous ces albums mêlent donc fiction et documentaire, dans une volonté de présenter d’autres cultures, d’autres modes de vie. Ils peuvent être considérés comme une ouverture virtuelle au monde, mais aussi une invitation au voyage, sans pour autant constituer ce que l’on pourrait nommer des carnets de voyage, car nulle trace de voyageur.

Apoutsiak est cependant l’un des rares, voire le seul album directement écrit par un chercheur, le célèbre  Paul-Emile Victor  (explorateur du grand Nord, ethnologue). Dans ses ouvrages Boréalet Banquises(parus respectivement en 1938 et 1939 chez Grasset), il rapporte sous forme de « journaux de route » ses deux expéditions de 1934-1937 au Groenland et notamment son séjour de 14 mois dans une famille esquimaude (inuit).  Ces ouvrages comportent des textes écrits au fil du temps et datés, des croquis (personnes, animaux, objets, cartes et plans), ainsi que des photos ajoutées par la suite. Apoutsiak, publié dix ans plus tard, sans reprendre une forme identique, est nourri, de toute évidence, de ces carnets. Et si, par ailleurs, il inaugure les principes exposés plus haut et communs  à tous les albums de la série, cet album, plus que les autres, me semble précisément garder cette trace du voyageur et pourrait se lire alors non seulement comme un documentaire fictionnalisé, mais aussi comme une forme de carnet de voyageur ou d’explorateur, adaptée aux exigences très nombreuses de Paul Faucher[4].

Il ne s’agira pas ici de proposer une analyse précise de l’album qui a déjà été remarquablement réalisée par Daniel Jacobi, universitaire spécialiste de la vulgarisation scientifique[5]mais d’observer à travers la question des multiples temporalités de l’album en quoi Apoutsiak mêle documentaire, fiction mais aussi garde des traces du carnet de voyage.
S’il n’y a pas de date précise dans l’album, à la différence d’un journal de bord ou d’un carnet de voyage, le texte et l’image, le choix de temporalités multiples vont donner des indications variées sur le temps à la fois cyclique et linéaire.

Le cycle des saisons

La succession des images et en leur sein, la représentation des paysages vont opposer et faire alterner des scènes d’hiver et des scènes d’été : à l’extérieur le blanc et le bleu dominant de l’hiver laissent place à des couleurs d’été plus nombreuses, aux teintes ocre foncé des montagnes dénudées, à quelques espaces de verdure. Les scènes d’intérieur sont des scènes d’hiver lorsque toute la famille assez nombreuse est rassemblée dans une seule et même temps : l’image qui propose une vue d’ensemble (p. 11) contraste avec les scènes d’extérieurs par ses couleurs vives, par la profusion de personnes, de chiens, d’outils.  Ainsi la succession des images, sans stricte régularité toutefois, donne à éprouver l’écoulement du temps à travers les scènes du quotidien et les couleurs pourraient faire office de dates même si le texte (narratif ou explicatif) vient généralement indiquer aussi la saison représentée.  Le temps passe et revient, à travers un mouvement cyclique qui est cependant contrebalancé par le choix narratif de l’histoire même d’Apoutsiak.

Le déroulé d’une vie

Il existe dans cet album une seconde ligne temporelle très singulière, prise en charge par le discours narratif qui conduit la fiction : en effet, l’album va retracer la vie entière du personnage principal de sa naissance à sa mort et son entrée dans le paradis. Les autres albums de la série ne reprendront pas ce déroulé temporel et s’en tiendront à la vie des enfants dans le temps de leur enfance. Aussi peut-on s’interroger sur ce choix qui peut être lié à l’expérience personnelle de l’auteur au sein d’une communauté esquimaude : la naissance, la mort sont assez régulières ; les vies plus courtes ainsi que le temps de l’enfance. Aussi c’est peut-être pour cette raison que P.E. Victor a choisi de faire découvrir une vie dans sa totalité avec ses étapes majeures (nourrisson/enfant/ adulte/vieillard), comme un résumé très condensé de sa propre expérience, sans chercher justement à s’en tenir au moment de l’enfance comme ce sera le cas dans les autres ouvrages de la collection.

Brouillage temporel des différents discours

Ces différentes lignes temporelles se doublent comme le montre Daniel Jacobi de choix énonciatifs singuliers : la vie d’Apoutsiak est presque entièrement rapportée à l’imparfait, ce qui crée à la fois le sentiment de la durée, de l’inachevé, ou de l’intemporel. La singularité vient rejoindre la portée générale du discours explicatif . Le récit est d’une certaine façon suspendu et la trace – image ou écriture – fige et fixe des scènes, comme des exemples précis et représentatifs, à l’instar des croquis contenus dans  Boréal.

Par ailleurs, le discours explicatif est traversé d’un autre discours : ainsi, certains textes explicatifs à valeur générale sont cependant adressés au jeune lecteur, qui est sollicité plusieurs fois sous la forme du « tu »[6]. Si la volonté pédagogique qui préside à l’élaboration de cette série, est très visible dans ces adresses, on peut aussi y voir une transposition du carnet de route de P.E. Victor : carnet rempli au fil des jours, destiné à la fois à servir trace et de base pour ses analyses scientifiques, carnet aussi pour un public plus large, dans le but de faire partager son expérience et de la faire vivre : et de fait, le lecteur adulte, sans être directement sollicité, n’en est pas moins absorbé dans ces carnets qui transmettent des savoirs, mais provoquent aussi des émotions et un attachement à tous ces individus, en tant que  personnes et personnages.

Apoutsiak n’est pas un carnet de voyage à proprement parler. Toutefois, il possède une dimension  plus singulière et personnelle que les albums qui suivront. Il inaugure aussi sans aucun doute de nouvelles formes de documentaires, reprises notamment dans le principe de la collection « Archimède » de l’Ecole des loisirs. Par ailleurs, la co-présence de la fiction et du discours informatif pourrait bien avoir ouvert des pistes quant aux possibilités de l’album, mêlant texte et image, comme dans les ouvrages de François Place qui construit des fictions d’univers et de peuples, à partir toutefois de savoirs savants très assurés.

Florence Gaiotti, Maitre de Conférences à l’ESPE, Université d’Artois.
Article paru dans NVL N°192, Juin 2012.

[1]Initialement appelée « Les enfants du monde », selon les recherches de Michèle Piquard qui analyse tout particulièrement cette collection dans un article intitulé « Les cartes dans les albums du Père Castor », in Cartes et Plans, D.Dubois-Marcoin, E.Hamaide, Cahiers Robinson, 28, 2010. Il y est amplement question d’Apoutsiak et certaines informations sont issues de cet article.

[2]Michel Defourny, Pour lire commençons par les mains !,Les amis du Père Castor, Meuzac, 2010, p. 15-16.

[3]Cet anthropologue a fait notamment paraître un ouvrage intitulé La vie secrète des Pigmées,Editions du temps, 1961,  mais avait déjà produit en 1951 de nombreux travaux dont l’album a pu s’inspirer.

[4]Michel Piquard évoque les longs échanges entre Paul Faucher et P.E.Victor : ce dernier a été invité à rajouter un certain nombre d’éléments. Le livre est paru deux ans après la proposition de P.E.Victor auprès de Flammarion.

[5]Daniel Jacobi, « Apoutsiak, le petit flocon de neige, anatomie d’un chef-d’œuvre », La revue des livres pour enfants, n° 210, p. 57-59.

[6]Constat fait et analysé aussi bien par M.Piquad que D.Jacobi.